Aya Kawato | Tell me what you see | Du 20 décembre 2020 au 28 février 2021

A partir du 20 décembre 2020, la galerie Pierre-Yves Caër accueille Aya Kawato pour l’exposition « Tell me what you see »

À 32 ans, Aya Kawato vient d’achever son doctorat à l’Université des Arts de Tokyo, elle réside et travaille désormais à Kyoto. Pendant ses études, l’artiste a effectué un échange avec l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et a reçu plusieurs prix : 

  • Le Grand Prix de Rêver 2074, décerné en 2017 par le Comité Colbert et l’Université des Arts de Tokyo,
  • Le Prix de la Fondation Nomura (en 2018) qui récompense chaque année le/la meilleur(e) étudiant(e) diplômé(e) de l’Université des Arts de Tokyo. 

La genèse

 Le travail d’Aya Kawato puise à deux sources : 

D’une part, dans le savoir-faire du textile japonais et ses techniques traditionnelles de tissage, d’autre part, les dernières avancées scientifiques en matière de neuroscience. 

Aya comprit très jeune que notre perception du monde résulte principalement de notre cerveau, les yeux agissant comme des récepteurs de notre activité neuronale. 

En effet, elle est très influencée par le travail de son père, un neuroscientifique reconnu. Ses travaux la fascinent très tôt et suscitent chez elle un questionnement sur les liens entre techniques de création et perception visuelle. Les recherches en neurosciences étudient non seulement les schémas utilisés par le cerveau pour analyser le monde perçu mais aussi les mécanismes internes de pensées, de rêves et d’expériences mentales dans le but de les mettre en images. Ces images sont recomposées par un processus nommé « visual image reconstruction ». 

Aya Kawato s’inspire de ce processus pour recréer des treillages complexes de bandes de papier. Jouant sur différents plans – les couleurs, la profondeur de champ, la distance, la netteté et le flou –, l’artiste questionne la perception du spectateur et son rapport direct à la réalité. 

Les techniques de tissage 

Aya Kawato a mené un travail de recherche sur les techniques indiennes de tissage. Ces techniques, appelées ikat en Inde, furent reprises au Japon sous le nom de kasuri. Elles consistent à teindre les fils avant de les tisser, en anticipant le positionnement de ces parties teintes au moment du tissage pour la formation de motifs. Il est quasiment impossible d’obtenir des motifs parfaits mais ce sont justement ces imperfections qui créent toute la poésie de ces tissages précieux. Ces techniques illustrent parfaitement le concept de « Controlled / Uncontrolled », qui est la base du travail de la jeune peintre et qui fut aussi l’objet de sa thèse de doctorat.

« Dans cette tradition textile, développée sur l’île d’Oshima, j’ai découvert une philosophie très proche de celle que j’avais faite mienne dans mes créations artistiques : une philosophie qui non seulement assume les inévitables imperfections nées d’un travail manuel mais y trouve même une beauté qui dépasse les efforts de contrôle ». 

Aya Kawato crée un canevas de bandes horizontales et verticales de 5 mm de large qui constitue une trame complexe. Chaque carré de 5 mm de côté est peint individuellement. Le dialogue des couleurs, les jeux de densité et de brillance, l’utilisation de peintures aux rendus plus ou moins flous créent une excitation rétinienne, une vibration qui interrogent la perception du spectateur. Elle voit ainsi les effets visuels se déformer au fur et à mesure du processus de création, toujours en lien avec l’aléatoire…

« Pour cette nouvelle exposition à la galerie Pierre-Yves Caër, les spectateurs pourront découvrir ma nouvelle approche de mes tissages de peinture. C’est une série que je développe depuis 2016. Bien que le fondement initial de ma peinture ait été le tissage lui-même, la série s’est développée en incorporant de multiples influences culturelles et personnelles dans des proportions que je n’avais pas imaginées initialement ». 

L’exposition

Pour l’exposition « Tell me what you see » , l’artiste présente quelques oeuvres créées dans le cadre de ses recherches de doctorat ainsi que des oeuvres postérieures. Ses oeuvres les plus récentes s’inspirent d’une peinture de très grand format réalisée pour les bureaux japonais de FaceBook, où Aya Kawato a incorporé des représentations de modèles multi-voxels mesurés lors d’expérimentations de Decoded Neurofeedback (DecDef). Son objectif était d’explorer différentes façons de fusionner les méthodes de travail numériques et analogiques. 

À travers mes tissages de peinture, je sens que j’apprends à tisser des éléments disparates pour créer quelque chose de nouveau. C’est précisément à travers ce processus, qui implique le respect et la compréhension des éléments incorporés, que quelque chose de merveilleusement unique et inattendu peut émerger. Nous avons souvent le sentiment d’être piégé(e) dans notre vie quotidienne. Les nouvelles rencontres sont pourtant essentielles pour approfondir la compréhension mutuelle et révéler une beauté nouvelle, des valeurs nouvelles. Je suis extrêmement reconnaissante d’avoir l’opportunité d’exposer à Paris à des moments comme ceux-ci, et j’espère sincèrement qu’à travers mon travail, tous les visiteurs pourront partager une expérience de sensibilité et d’esthétique japonaises, et cela, quelle que soit la distance qui puisse nous séparer.

Interview d’Aya Kawato

Pourriez-vous nous expliquer à quel moment et comment vous avez décidé de devenir artiste ?

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours adoré créer des choses, que ce soit des dessins ou des pliages en origami. J’ai suivi mes premiers cours d’éducation artistique quand j’avais 8 ans et c’est à cette époque que je me suis dit que je voudrais vraiment devenir peintre. Pourtant, à l’adolescence, et pour des raisons que j’ignore, j’ai développé comme une honte de cette idée. Je l’ai enfouie très profondément en moi en essayant de l’oublier. Plus tard, alors que j’étais au lycée et qu’il a fallu que je me décide sur des études universitaires, je me suis rendu compte que je ne pouvais plus continuer à ignorer cet attrait pour l’art, si profondément ancré en moi, et j’ai donc pris la décision de poursuivre des études artistiques. À l’université, j’ai d’abord été très attirée par le design et j’ai d’ailleurs fait un stage dans une agence de design. Cette expérience m’a convaincue que le design consistait au fond à répondre à des questions posées par d’autres autour de nous. Finalement, j’ai trouvé plus intéressant d’avancer mes propres questions sur le monde qui nous environne et j’ai décidé de le faire à travers l’art. 

Pourriez-vous nous décrire vos études à l’Université des Beaux-Arts de Tokyo ? De votre point de vue, qu’y avez-vous appris de plus important ?

Avant de commencer mes études à l’université des Beaux-Arts de Tokyo, j’ai passé du temps à l’université Seika de Kyoto, où j’ai étudié les techniques traditionnelles japonaises de tissage et de teinture. Les tissus japonais ont une longue histoire – qui impose ses propres limites, inhérentes aux matériaux et aux techniques utilisés, qu’à l’époque, je trouvais restrictives. J’ai voulu apprendre des modes d’expression plus ouverts et décloisonnés et c’est pour cela que je suis entrée au département d’Art Intermedia de l’université des Beaux-Arts de Tokyo. Là, j’étais entourée de professeurs et d’étudiants aux parcours extraordinairement différents. À Kyoto, il m’avait semblé que les contraintes que je ressentais dans mon expression artistique étaient liées aux techniques textiles, mais là, dans le département d’Art Intermedia, je percevais que les vraies contraintes venaient en fait de moi-même. En essayant de surmonter ce conflit interne, je suis devenue très sensible à la beauté résultant de moments qui existent en-dehors du contrôle de l’homme. Dans les techniques traditionnelles japonaises de tissage et de teinture, la beauté nait d’ailleurs précisément des contraintes strictes qui imposent une part à l’imprévisibilité. C’est un élément essentiel de ma peinture et je crois que c’est la chose la plus importante que j’ai apprise à l’université des Beaux-Arts de Tokyo.



C/U_mm-mmd_(w)_III, acrylique sur panneau de bois, 2020, 200 x 250 cm


Pendant vos études à Tokyo, vous avez participé à un programme d’échange avec l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Y a-t-il quelque chose que vous avez vécue ou apprise à Paris qui a une influence sur votre création artistique aujourd’hui ?

Pendant l’année que j’ai passée à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, j’ai eu la chance de recevoir les avis sur mon travail de beaucoup de professeurs différents, et pas seulement de mon superviseur. Je me suis alors rendu compte que ces avis se partageaient au fond en deux écoles de pensées. Cela m’a perturbée, et quand j’en ai parlé avec mon superviseur au Japon, il m’a expliqué qu’à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, certains professeurs pensaient l’art dans une perspective moderne, et d’autres l’approchaient dans une vision contemporaine. Jusqu’alors, tout ce que j’avais appris en histoire de l’art provenait de mes cours d’université et de livres, mais j’avais toujours ressenti que quelque chose m’échappait, quels que soient les efforts que j’y consacrais. Être à Paris m’a permis de m’immerger dans cette histoire. Plutôt que d’analyser ma pratique artistique dans un cheminement intellectuel, j’ai senti que ce qui importait était la connaissance du geste et comment celui-ci s’inscrivait dans le contexte plus large de l’histoire de l’art.

Alors que vous étiez encore étudiante, vous avez gagné en 2017 le Grand Prix du concours Rêver 2074 organisé par le Comité Colbert et l’université des Beaux-Arts de Tokyo. Pourriez-vous nous parler d’Oriai, la peinture que vous avez créée pour ce concours ? Rétrospectivement, que vous a apporté cette compétition ?

Oriai est inspirée par le roman Facettes de l’écrivaine française de science-fiction Samantha Bailly. Le personnage principal de ce roman est une neuroscientifique qui crée des vêtements qui projettent les émotions de la personne qui les porte. Le roman se termine par la création d’une robe qui allie technologie et tradition. J’ai été très marquée par la coexistence de la technologie et de la tradition dans ce roman et j’ai utilisé cela comme l’élément central de ma peinture.En japonais, « oriai » signifie le compromis et s’écrit normalement en utilisant le kanji de « plier ». Pour le titre de ma peinture, j’ai pris le même mot mais en utilisant le kanji de « tisser », qui se prononce de la même façon. Lire Facettes m’a convaincue de l’importance de toujours rechercher le compromis et l’accord quand on est confronté à quelque chose d’extraordinaire ou d’étranger à ce qu’on est. Trouver un compromis, c’est un acte que je compare au fait de tisser une pièce de vêtement à partir d’un fil qui, au départ, ne ressemble en rien à ce vêtement. Cette idée, j’ai voulu l’incorporer dans le titre de la peinture, qui apparaît elle-même comme le résultat du tissage de différents fils.Le schéma ci-dessous est une image qui pour moi symbolise la technologie. Cette image a été créée par une technologie qu’on appelle « visual image reconstruction » qui analyse les signaux du cerveau et les recompose pour montrer ce qu’une personne est en train de voir. Cette technologie a le potentiel d’être utilisée pour visualiser des expériences plus subjectives, comme les pensées ou les rêves. Je trouve que ce schéma se prête particulièrement bien à une peinture où la technologie et la tradition coexistent, et j’ai donc repris ces motifs dans la partie basse de ma peinture.Le concours Rêver 2074 m’a ouvert de nombreuses portes, en particulier la chance d’être exposée à la FIAC. C’est aussi grâce à cela que j’ai rencontré Pierre-Yves Caër, mon galeriste en France. Je suis très reconnaissante des opportunités que ce concours m’a offertes, du rôle qu’il a joué dans le développement de ma carrière artistique en France. 


Oriai, acrylique sur panneau de bois, 2017, 250 x 200 cm
Credit :  Fumihito Nagai © Comité Colbert, Tokyo University of the Arts

Votre thèse de doctorat porte sur le concept de Controlled/Uncontrolled, illustré par les techniques de tissage de l’île d’Oshima, au Japon. Comment pourriez-vous définir ce concept ? Pourquoi avez-vous choisi de l’illustrer par les techniques de tissage propres à l’île d’Oshima ? 

Tout comme une pièce de textile est teinte et tissée, je créée mes peintures en assemblant à la main plusieurs couches d’une forme simple de grille. Dans ces peintures à base de grilles, je cherche à exprimer une beauté qui émerge d’un espace qui échappe au contrôle de l’homme. Cette beauté est révélée à travers de toutes petites imperfections liées au geste manuel ou au matériau, qui crée des différences de taille de la grille à peine perceptibles, des distorsions des bords, des éléments de flou, des changements de nuances chromatiques et des variations dans la façon dont les couches de peinture s’accumulent à la surface de l’œuvre. Comme dans les tissus kasuri, mes peintures utilisent une structure de motifs répétitifs et des variations de couleurs pour mettre en évidence le décalage qu’il peut y avoir entre la réalité objective de la peinture et la perception qu’un spectateur en a. J’essaie de permettre au spectateur de faire l’expérience des mécanismes qu’il y a derrière la vision et la connaissance. Pour cela, mes peintures à base de grilles sont composées de décalages – de matières, de gestes, de couleurs.Les textiles sont le résultat à la fois de technologies – mathématiques, inorganiques – et du geste de l’homme. La coexistence de ces éléments disparates se voit visuellement et je crois que c’est quelque chose que l’on peut aussi trouver dans la relation entre la grille – conceptuellement parfaite – et les imperfections inhérentes à sa création. Oshima Tsumugi est un type de techniques de tissage qu’on appelle kasuri, une technique qui utilise précisément les imperfections propres au processus qui impose que le fil soit teint avant d’être tissé. Depuis longtemps, ce sont précisément ces imperfections qui ont séduit les gens. En outre, je me suis rendu compte que le kasuri produit des décalages dans la perception visuelle par l’utilisation d’une structure de motifs répétitifs et de variations de couleurs. Ces décalages sont particulièrement prononcés dans l’Oshima Tsumugi et c’est pour cela que j’en ai fait le point d’attention principal de ma recherche. Analyser la structure de l’Oshima Tsumugi à travers les éléments de contrôle, d’une part, et les inévitables imperfections propres au processus, d’autre part, m’a permis de mettre l’accent sur ces décalages dans mes propres peintures. Il y a trois grands types de décalages dans les techniques d’Oshima et j’ai essayé de rendre en peinture chacun de ces trois effets. 


Détail de C/U_mm-mmd_(w)_II, acrylique sur panneau de bois, 2020, 200 x 250 cm
  • Quand vous avez obtenu votre doctorat de l’Université des Beaux-Arts de Tokyo, la Fondation Nomura vous a décerné son Grand Prix, qui récompense chaque année l’artiste le plus prometteur parmi les diplômés de l’université. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre œuvre – C/U/O_mm-mmd_(w)_I – qui a été acquise par le musée de l’université grâce à ce prix ?

L’œuvre qui a gagné cette récompense est l’une de mes peintures qui analysent les structures de contrôle et d’imperfection propres aux techniques traditionnelles de tissage de l’île d’Oshima. Ces structures constituent l’élément culminant de mes recherches pour ma thèse de doctorat. Gagner le prix de la Fondation Nomura et voir entrer l’une de mes œuvres dans le musée de l’Université des Beaux-Arts de Tokyo m’ont donné beaucoup de confiance pour avancer en tant qu’artiste professionnelle, une fois mes études terminées. Je l’ai aussi ressenti comme une façon de remercier à la fois mes professeurs mais aussi toutes les personnes impliquées dans la fabrication de tissus traditionnels à Amami Oshima, pour la gentillesse et le soutien qu’ils m’ont constamment apportés. Cette série CUO est quelque chose que j’ai continué à développer depuis mon diplôme.

  • Vous avez travaillé à plein temps comme artiste dès la fin de vos études et vous avez rencontré un succès immédiat, à la fois au Japon – notamment grâce à votre galerie Imura Art, à Kyoto – et en France, avec la galerie Pierre-Yves Caër. Des œuvres de commandes vous ont aussi été demandées par des collectionneurs et des sociétés. Comment réussissez-vous à organiser votre temps et à répondre à toutes ces demandes alors même que votre technique de création prend autant de temps ?

Je me sens extrêmement chanceuse d’avoir réussi à vivre de mon travail d’artiste dès la fin de mes études et tout cela est vraiment dû au soutien extraordinaire que m’ont apporté des galeries, des collectionneurs, des sociétés.

Quand j’ai commencé, mon objectif était de passer autant de temps que possible à peindre, n’accordant aucune importance à mes habits, à la nourriture, à mon hébergement. Mais même en faisant cela, il y avait des limites à ce que je pouvais accomplir seule, si bien qu’il y a un an environ, j’ai pris la décision de recruter des assistants. Grâce à leur aide, j’ai été capable de créer des pièces que je n’aurais jamais pu réaliser seule. Ils mettent le doigt sur quantités de détails qui m’auraient échappé et sont une grande source d’émulation à l’atelier. Au fond, je ressens que mes assistants m’ont permis de retrouver quelque chose d’une vie normale. Mais je dois dire que malgré cela, c’est quand même compliqué de prendre du temps pour moi et je finis généralement par travailler 365 jours par an ! Actuellement, mon objectif est de m’échapper de mon atelier un jour par semaine et de consacrer ce temps à rechercher de nouvelles sources d’inspiration pour mon travail.

  • Grâce à la recommandation d’un conseiller en art français très réputé, qui a découvert votre travail sur le stand de notre galerie à la foire Asia Now à Paris en 2018, une importante maison de luxe française vous a commandé une première œuvre d’art pour leur boutique principale de Tokyo. À l’époque, cette peinture a été la plus grande œuvre d’art qu’il vous avait été donné de créer. Quels défis avez-vous dû relever pour créer une œuvre aussi grande ?

Effectivement, créer une peinture pour la boutique Longchamp de Ginza, à Tokyo, a été un défi extraordinaire. Les dimensions étaient si grandes que j’ai dû travailler sur 19 panneaux différents à l’atelier, sans être capable d’avoir une perception de ce que l’œuvre finale rendrait autrement que sur les maquettes que j’avais préparées sur mon ordinateur ou par la vision que j’en avais dans la tête. Finalement, ce n’est qu’après que l’œuvre eut été assemblée et accrochée dans la boutique que j’ai pu réellement me rendre compte du résultat final. Elle couvrait les murs d’une large descente d’escalier entre le rez-de-chaussée et le premier étage. Je devais donc réfléchir à la façon dont un visiteur percevrait la peinture et aussi à la façon dont son point de vue changerait lorsqu’il se déplacerait dans l’espace. Ce projet représentait un défi énorme mais le client a été incroyablement compréhensif en me permettant de conserver un contrôle total sur l’œuvre, tout en mettant à ma disposition des matériaux de très grande qualité et une équipe de professionnels aguerris à l’accrochage d’œuvres d’art. Je suis très reconnaissante de ce soutien et c’est grâce à tout cela que l’œuvre est aussi belle.

  • Vous avez ensuite été contactée par FaceBook qui vous a proposé de joindre leur programme FaceBook Artists In Residence et de créer pour eux une œuvre encore plus grande. En quoi la façon dont vous avez mené ce projet était-elle différente de la conduite du projet précédent ?

J’ai commencé le projet pour FaceBook en plein milieu de la pandémie, ce qui a créé des conditions très différentes de celles de mon expérience avec Longchamp. Tout d’abord, mon interlocutrice était basée à Singapour et ne pouvait pas venir au Japon, si bien que nous ne pouvions nous voir et échanger qu’en ligne. De même, je ne pouvais pas moi-même visiter le site où l’œuvre serait accrochée, et je devais donc prendre toutes mes décisions sur la base de photographies. À chaque fois que nous avions un rendez-vous en ligne, Pierre-Yves et l’un de mes assistants qui assurait pour moi la traduction et l’interprétation se joignaient à nous. J’ai trouvé très rassurant d’avoir cette structure de soutien autour de moi et cela m’a permis de mener ce projet à bien en dépit de nombreuses contraintes de temps, de limitations dans l’utilisation de certaines couleurs, etc. FaceBook a aussi apporté une aide très efficace et m’a encouragée à essayer de nouvelles choses, si bien qu’au final, je trouve qu’un des grands mérites de ce projet a été d’introduire dans ma pratique de nouvelles approches et expérimentations.

  • Quand on observe l’évolution de votre travail au cours des trois dernières années, il est frappant de constater à quel point vous continuez toujours d’innover, de trouver de nouvelles compositions, même de faire évoluer votre technique. Qu’est-ce qui vous pousse ainsi à toujours proposer de nouveaux effets ?

Je ne peins pas avec l’objectif conscient de faire toujours de nouvelles choses. Mais je me lasse vite de reproduire le même type de travaux. J’expérimente donc constamment de nouveaux effets optiques et j’imagine que cela m’amène à changer continument mon approche à l’atelier. Mon but est de créer des œuvres qui vont perturber la perception visuelle du spectateur, c’est vraiment ce qui me fait avancer.

  • Quels ont été les artistes, les mouvements artistiques, les idées qui vous ont le plus inspirée quand vous avez été amenée à concevoir votre propre expression artistique ?

Historiquement, le mouvement Op-Art des années 60 a eu une immense influence sur ma pratique, Bridget Riley et Victor Vasarely étant les deux artistes vers lesquels je me tourne le plus. Parmi les artistes contemporains, j’aime vraiment beaucoup le travail d’Olafur Eliasson, à tel point que quand j’étais plus jeune, je lui ai même écrit pour lui demander de me prendre comme assistante. Son travail utilise la technologie la plus récente pour sensibiliser le spectateur à son sens de la perception. Dans mon cas, je trouve intéressant de traiter des mêmes idées dans la contrainte d’une surface plane.

  • Nous vivons actuellement une crise sanitaire mondiale qui empêche les gens de voyager à travers le monde, et même, dans beaucoup de pays, de voir leurs familles, leurs amis. En tant qu’artiste, comment ressentez-vous cette situation ? Influence-t-elle votre création ?

Je ne pense pas qu’il y ait eu dans le passé beaucoup d’événements qui aient produit autant de réponses différentes. Le Japon connait beaucoup de catastrophes naturelles. En 32 ans ici, j’ai vécu plusieurs tremblements de terre importants et ce sont des moments où, habituellement, les gens se rassemblent pour surmonter les problèmes. J’ai le sentiment que c’est différent cette fois-ci. J’ai aussi l’impression d’avoir parlé de cette crise plus que de n’importe quel autre événement dans le passé.

Dans mon travail, l’un des éléments les plus importants est lié au fait que chaque spectateur apporte sa propre expérience à la peinture. Je cherche constamment à mettre ces sensations en relief, à créer des œuvres qui vont permettre au spectateur de prendre conscience des différentes perceptions qu’il éprouvera. Au fond, pour approfondir cela, peut-être faudrait-il que l’œuvre prenne la forme d’une installation plutôt que d’une peinture. Peut-être est-il temps de sortir du plan à deux dimensions.

  • Que voudriez-vous dire aux amateurs d’art, aux collectionneurs qui visiteront votre nouvelle exposition individuelle à la galerie Pierre-Yves Caër à Paris, à partir du 20 décembre 2020 ?

Le titre de l’exposition – Tell me what you see [Dites-moi ce que vous voyez] – est un message direct aux visiteurs de l’exposition. Je me suis efforcée de créer des œuvres qui engendrent des impressions différentes en fonction du temps et de l’espace dans lesquels elles sont présentées. Les effets d’optique que j’ai essayé d’inclure dans mon travail sont le résultat de beaucoup d’essais et d’erreurs. Cette exposition a lieu dans des circonstances très inhabituelles, donc je suis très curieuse de voir quel type de réponses mes peintures provoqueront chez les visiteurs. Toute cette année a été très stressante mais j’espère que vous pourrez prendre un moment pour apprécier l’expérience que ces travaux procurent.